C’est avec une grande tristesse que nous avons appris la mort de Réal Ouellet, survenue le 20 février 2022 alors qu’il avait 86 ans. Professeur retraité au Département de littérature, théâtre et cinéma de l’Université Laval, il laisse le souvenir d’un chercheur prolifique, d’un être profondément généreux et attachant. Directeur de plus d’une cinquantaine de thèses et de mémoires de maîtrise, il fut une source constante d’inspiration pour de nombreux universitaires. Durant toute sa carrière et même à la retraite, il n’a jamais hésité à partager des documents inédits, à guider et encourager les chercheurs dans l’élaboration de leurs travaux et à transmettre son expertise, que ce soit pour évaluer des articles ou des projets de recherche, ne comptant jamais son temps. En plus de ses innombrables activités scientifiques, il a assumé le rôle de vice-doyen à la recherche à l’Université Laval (1972-1975). Cofondateur en 1968 de la revue Études littéraires, qu’il dirigea pendant de nombreuses années, il s’est révélé un redoutable lecteur et un critique avisé. Sa carrière d’envergure internationale le conduisit à Ferrare en Italie, puis à Vancouver, où il fut professeur invité.
D’une rigueur sans faille, son œuvre représente un apport inestimable à l’avancement des connaissances, notamment sur la première modernité et l’exploration du discours narratif. Signalons à ce propos la publication de son livre L’univers du roman, écrit en collaboration avec Roland Bourneuf, plusieurs fois réédité depuis sa parution en 1972 et traduit en plusieurs langues. Les études viatiques en particulier lui doivent un nombre impressionnant de contributions qui ont permis de renouveler la réflexion sur l’écriture de la relation de voyage ou de séjour ainsi que sur l’altérité autochtone des Amériques. Songeons à son ouvrage intitulé La relation de voyage en Amérique (XVIe-XVIIIe siècles), au carrefour des genres (2010 ; 2015), mais aussi aux collectifs dont il a coordonné la publication, comme Rhétorique et conquête missionnaire : le jésuite Paul Lejeune (1993), Culture et colonisation en Amérique du Nord, avec Jaap Linvelt et Hub. Hermans (1994) et Transferts culturels et métissages, Amérique/Europe. XVe-XXe siècle avec Laurier Turgeon et Denis Delâge (1998).
On lui doit encore une dizaine d’éditions critiques parmi lesquelles figurent les Œuvres complètes de Lahontan (1990), mais aussi Le Grand Voyage du pays des Hurons, avec la collaboration de Jack Warwick (1990) ; Des Sauvages de Samuel de Champlain avec la collaboration d’Alain Beaulieu (1993) ; la Nouvelle relation de la Gaspesie de Chrestien Leclercq (1999) ; l’Histoire des aventuriers flibustiers d’Alexandre-Olivier Exquemelin, avec la collaboration de Patrick Villiers (2005) ; la Relation des missions des pères de la Compagnie de Jésus dans les îles et dans la Terre Ferme de l’Amérique méridionale de Pierre Pelleprat (2009), et la Relation de l’établissement des Français depuis l’an 1635 en l’île de la Martinique, l’une des Antilles de l’Amérique de Jacques Bouton, suivi de la Relation des îles de Saint-Christophe, Gardelouppe et la Martinique, gisantes par les 15 degrés au-deçà de l’Équateur d’Hyacinthe de Caen, avec la collaboration d’Yvon Le Bras (2015). Il a en outre préparé plusieurs anthologies (Nouvelles françaises des XVIIe et XVIIIe siècles, 2000 et 2005 ; La colonisation des Antilles, 2014).
Ses contributions lui valurent plusieurs distinctions. Bénéficiaire de la bourse Killam du Conseil des Arts du Canada en 1988-1989, il fut aussi nommé membre honoraire de la Société canadienne d’étude du dix-huitième siècle (2008), dont il fut le premier président. Malgré les honneurs, il sut rester un homme facile d’approche, ne s’embarrassant jamais des formalités et avec qui chacun pouvait trouver une écoute attentive. En plus de sa grande érudition, Réal Ouellet était animé d’une passion de conteur, qui le mena à l’écriture de romans et de nouvelles de même qu’à la création poétique à laquelle il s’adonna au cours de sa retraite de ces dernières années. À l’image de son parcours, sa vie fut une longue et belle aventure intellectuelle consacrée au plaisir de la découverte et à la quête du savoir.
Marie-Christine Pioffet